En Afrique, les réformes foncières deviennent un enjeu majeur pour accélérer le développement (rapport).
Les contradictions entre les régimes coutumiers et les législations modernes, ainsi que l’accaparement des terres par des investisseurs, représentent des obstacles significatifs entravant l’exploitation optimale du vaste potentiel foncier africain. Les réformes foncières se heurtent fréquemment à des obstacles et suscitent des controverses.
Les pays africains sont actuellement confrontés à un appel pressant pour résoudre les contradictions entre les systèmes fonciers coutumiers et les lois modernes adoptées après les indépendances, tout en améliorant la gouvernance foncière afin de libérer le potentiel de croissance de plusieurs secteurs clés de l’activité économique. C’est ce que souligne un rapport publié le 6 octobre par l’AgenceEcofin.
Intitulé « Les États africains doivent améliorer leurs politiques foncières pour mieux faire face aux défis du développement », le rapport met en évidence les difficultés liées au foncier qui entravent la croissance des secteurs de l’agriculture et des infrastructures, des domaines centraux des politiques de développement des États.
Un des problèmes majeurs concerne la spéculation foncière menée par des investisseurs nationaux et internationaux, qui peut conduire à l’accaparement des terres agricoles au détriment des populations locales. Selon les estimations de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), environ 2,3 millions d’hectares de terres ont été acquis entre 2000 et 2012 dans les huit pays de l’UEMOA plus la Guinée, représentant 1,5% de la superficie totale des terres arables de ces pays.
Le Land Matrix Initiative (LMI), une base de données internationale collaborative et indépendante sur l’accaparement des terres, a également révélé que 7,3 millions d’hectares ont été loués ou acquis en Afrique subsaharienne entre 2010 et 2020, soit 1,2% de la superficie totale des terres arables du continent, précise AgenceEcofin.
Ces acquisitions sont généralement le résultat de politiques visant à promouvoir l’investissement privé, permettant ainsi aux investisseurs internationaux d’acquérir des terres en Afrique dans des conditions avantageuses en échange d’investissements dans le secteur agricole local. Malheureusement, ces investissements ne tiennent pas toujours compte des besoins agricoles locaux et favorisent la culture de produits destinés à l’exportation, maintenant ainsi la dépendance du continent vis-à-vis de l’étranger pour son approvisionnement en denrées alimentaires.
De plus, les terres sont fréquemment acquises à des fins non agricoles, notamment pour le développement d’infrastructures, des projets miniers ou industriels, ce qui peut marginaliser les agriculteurs locaux.
Un potentiel foncier considérable
Les difficultés liées à l’accès à la terre et aux droits de propriété dans de nombreux pays africains constituent un autre problème foncier majeur qui entrave le développement de l’agriculture et des infrastructures en Afrique. Les litiges sont fréquents entre les agriculteurs, les communautés locales et les investisseurs dans de nombreux pays du continent, souvent dus à des cadres législatifs et réglementaires complexes, fragmentés et inadaptés aux besoins locaux, toujours selon la même source.
Le rapport souligne que l’Afrique possède un potentiel foncier considérable en termes de superficie et de diversité géographique. Une exploitation optimale de ce potentiel pourrait contribuer à relever d’importants défis en matière de développement.
Dans le secteur agricole, par exemple, les terres fertiles et les climats variés offrent la possibilité de cultiver une grande diversité de produits, ce qui pourrait renforcer la sécurité alimentaire et le développement économique. L’urbanisation croissante en Afrique offre également des opportunités pour le développement d’infrastructures modernes, y compris des réseaux de transport, des zones industrielles et des centres urbains. Le potentiel foncier du continent pourrait également faciliter le développement de plusieurs autres secteurs tels que l’exploitation des hydrocarbures, des minéraux, ainsi que la production d’énergies renouvelables.
Les vastes régions sauvages et les écosystèmes diversifiés du continent offrent également un potentiel énorme pour le tourisme et la conservation de la biodiversité.
Pour exploiter au mieux ce potentiel, plusieurs pays africains ont entrepris des réformes foncières, souvent avec le soutien de bailleurs de fonds et d’autres partenaires au développement. Par exemple, en 2018, le Togo a adopté un nouveau code foncier et domanial. Au Bénin, les autorités ont adopté un code foncier et domanial en 2013, qu’elles ont ensuite modifié en 2017. En mai dernier, la Côte d’Ivoire a adopté un décret visant à faciliter l’enregistrement de la plus grande quantité possible de terres.
Des régimes fonciers complexes
Ces réformes ont souvent été critiquées par de nombreuses organisations de la société civile en raison de leurs résultats mitigés à court terme. En Côte d’Ivoire, la récente réforme foncière a suscité une vive controverse au sein de la classe politique, notamment en ce qui concerne l’abolition de la notion de « mise en valeur d’une terre » pour déterminer la propriété foncière par un particulier. Dans d’autres pays, comme le Sénégal, les réformes sont plutôt critiquées en raison des retards dans leur mise en œuvre. Ces retards sont parfois attribués à un manque de volonté politique au niveau de l’État, ou aux oppositions de la société civile, consciente des enjeux et des conséquences de ces réformes, et plaçant la protection des intérêts des acteurs ruraux en priorité.
Dans l’ensemble, ces réformes se heurtent à d’importants défis, notamment la complexité des systèmes fonciers où les règles coutumières prévalent parfois sur les règles établies par l’État en cas de litige. L’harmonisation des règles coutumières avec les lois modernes s’avère être un exercice délicat dans des États où la question foncière est sensible, avec d’importantes implications sociales, économiques et politiques. Au Sénégal, par exemple, la loi sur le domaine national de 1964 est restée inapplicable car les communautés continuaient à appliquer leurs propres modes de gestion des terres en tant que propriétaires. Il est donc nécessaire de clarifier cette dichotomie entre la loi moderne et le droit coutumier.
De plus, les États doivent réfléchir à la planification de l’utilisation des terres afin d’établir des stratégies de développement urbain durable, en adoptant une gouvernance foncière exempte de maux courants tels que la corruption ou les inégalités sociales et de genre. Il est essentiel de mettre en place des mesures incitatives, comme la réduction des coûts des transactions, le rapprochement des services de l’État des zones rurales, la simplification des procédures administratives grâce à la digitalisation, et en particulier des mesures de compensation efficaces dans le cadre des expropriations.