Comment les producteurs d’Afrique de l’Ouest s’approprient-ils les outils numériques ?** Pendant deux ans, le projet Fracture numérique a exploré cette question en se concentrant sur trois filières agricoles dans trois pays différents. Les résultats de cette étude révèlent une réalité de terrain souvent éloignée des promesses des projets de développement. L’équipe de scientifiques derrière cette étude prône un usage frugal et simple du numérique pour soutenir efficacement les petits producteurs.
« Le téléphone portable nous aide à avoir un accès facile aux clients, ça a vraiment changé mon travail. Le téléphone c’est mon entreprise, je ne peux pas faire sans », déclare Constantine Toviegbe, une maraîchère du Bénin. Comme près de 80 % de la population ouest-africaine, elle possède un téléphone portable, devenu un outil indispensable dans son activité.
Réalités du numérique en Afrique de l’Ouest : Pendant deux ans, le projet Fracture numérique a analysé l’usage des outils numériques par les producteurs dans l’élevage laitier au Sénégal, la cacaoculture en Côte d’Ivoire et le maraîchage au Bénin. Ces trois filières, bien que différentes, présentent des défis similaires en matière d’appropriation du numérique.
Lire aussi : Découvrez Farmly, une application gratuite pour les agriculteurs
« Le développement du numérique est porteur de nombreuses promesses de développement et d’inclusion. De nombreux investissements sont réalisés pour soutenir les usages du numérique en agriculture, notamment via des écosystèmes de services numériques locaux. Ces promesses se traduisent-elles dans la réalité des pratiques des producteurs ? » interroge Nicolas Paget, coordinateur du projet et chercheur au Cirad. L’étude a combiné des approches issues des sciences politiques, de l’anthropologie, de l’économie, de la géographie et de la gestion pour répondre à cette question.
Le téléphone est roi : Une enquête quantitative menée auprès de 3660 producteurs a montré que le téléphone est l’outil numérique quasi exclusif. Environ 20 % des producteurs n’en possèdent pas, 60 % ont un téléphone simple et 20 % possèdent un smartphone. Les résultats montrent des fractures numériques classiques : les possesseurs de téléphones, surtout de smartphones, sont majoritairement des hommes, urbains, éduqués et jeunes. L’accès à l’électricité et les coûts d’accès au réseau, relativement élevés par rapport aux revenus, constituent des obstacles supplémentaires.
La question cruciale de l’accès
Les services numériques utilisés se répartissent principalement en deux catégories :
1. L’accès au marché via la mise en relation des producteurs avec les acheteurs et le paiement par mobile money.
2. L’échange d’informations et de connaissances à travers des groupes de discussion sur messagerie instantanée pour des décisions agricoles.
« Il n’y a pas de problématique de motivation à accéder au numérique. Nos enquêtes ont révélé que ceux qui y ont accès ne reviennent jamais en arrière. Donc la question de l’accès est cruciale », ajoute Florent Okry, enseignant chercheur à l’Université nationale d’agriculture du Bénin. Les capacités numériques sont souvent liées au type de téléphone possédé.
Lire aussi : Comment les agriculteurs sénégalais profitent de la puissance de WhatsApp ?
Non-usage des applications spécifiques à l’agriculture : « Nous n’avons quasiment pas observé d’usage d’application dédiée à l’agriculture », ajoute Nicolas Paget. Cependant, les producteurs utilisent intensément les messageries instantanées pour des discussions agricoles, la reconnaissance de ravageurs, l’échange entre pairs, la promotion de produits et les négociations avec les acheteurs.
Pour le chercheur, ces résultats montrent une réalité éloignée des tendances des politiques publiques et des bailleurs internationaux, souvent orientées vers des applications spécifiques coûteuses et peu utilisées.
Pour un numérique frugal : L’équipe scientifique soutient que la meilleure stratégie est de promouvoir un usage frugal et simple du numérique. « Cette stratégie s’appuierait sur des outils déjà maitrisés et des capacités existantes chez les producteurs pour les aider à atteindre leurs objectifs agricoles quotidiens », explique Martin Notaro, chercheur au Cirad et responsable du volet Côte d’Ivoire du projet.
Ces résultats ont été présentés lors d’événements dans les trois pays concernés, réunissant producteurs, institutions de microfinance, opérateurs téléphoniques, start-ups et représentants des ministères de l’Agriculture, de l’Élevage et du Numérique. L’objectif était de réfléchir ensemble à des stratégies pour développer un numérique utile, utilisable et utilisé au service des producteurs.